Les perturbateurs endocriniens sont des substances étrangères à l’organisme.

Des scientifiques de l’UNIGE et de l’IRSET établissent un lien entre la mauvaise qualité du sperme chez l’homme adulte et l’exposition professionnelle de sa mère aux perturbateurs endocriniens pendant sa grossesse.

De plus en plus d’études montrent que l’environnement et les conditions de vie de la femme enceinte jouent un rôle charnière sur la santé de l’enfant. Mais qu’en est-il concernant la fertilité des jeunes hommes? Des chercheurs/euses de l’Université de Genève (UNIGE) ont montré il y a deux ans que seuls 38% des Suisses avaient des paramètres spermatiques supérieurs aux normes établies par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour les hommes fertiles. Pourquoi? Des épidémiologistes de l’Institut de recherche en santé, environnement et travail (IRSET, Rennes, France) se sont associé-es à l’équipe genevoise afin d’analyser l’impact potentiel des perturbateurs endocriniens sur la qualité du sperme des hommes dont les mères travaillaient au début de leur grossesse. Leurs résultats, publiés dans la revue Human Reproduction, relèvent que les hommes qui ont été exposés in utero à des produits ou préparations connues pour contenir des perturbateurs endocriniens ont deux fois plus de risque de se situer en-dessous des normes limites établies par l’OMS quant au volume séminal et au nombre totale de spermatozoïdes par éjaculation.

Les perturbateurs endocriniens sont des substances chimiques d’origine naturelle ou artificielle, étrangères à l’organisme, qui peuvent interférer avec le fonctionnement du système endocrinien et induire des effets délétères sur un organisme ou sur sa progéniture, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). «Plusieurs études chez l’animal ont déjà montré que l’exposition gestationnelle à certains perturbateurs endocriniens pouvait influencer le développement de l’appareil reproducteur masculin, ainsi que la production et la qualité du sperme à l’âge adulte», explique Ronan Garlantézec, chercheur à l’IRSET, au Centre hospitalier universitaire (CHU) de Rennes et à l’Université de Rennes 1. «Au vu des résultats de la recherche de l’équipe de Serge Nef sur la qualité du sperme des jeunes hommes suisses, nous nous sommes intéressés au rôle potentiel joué par les perturbateurs endocriniens chez la femme enceinte comme source possible de ces résultats», poursuit-il.

Le sperme de plus de 1000 conscrits analysé

L’équipe de Serge Nef, professeur au Département de médecine génétique et développement de la Faculté de médecine de l’UNIGE, a passé au crible la qualité du sperme de 1045 conscrits suisses. «Pour chacun d’entre eux, nous avons réalisé un spermogramme pour mesurer le volume de l’éjaculation, ainsi que la quantité, la mobilité et la morphologie des spermatozoïdes, explique le chercheur genevois. Un questionnaire professionnel a également été envoyé aux parents avant la réalisation du spermogramme, portant notamment sur les emplois exercés au cours de la période de la grossesse des conscrits.»

Ceci a permis d’analyser plus précisément les résultats des spermogrammes des hommes dont la mère exerçait une activité professionnelle lors de sa grossesse, activité qui pouvait potentiellement l’exposer à des perturbateurs endocriniens. «Les emplois des mères ont été classés selon la Classification internationale du type des professions (CITP-88 du Bureau international du travail de l’OMS), explique Luc Multigner, directeur de recherche à l’IRSET. L’exposition à des produits ou préparations contenant des perturbateurs endocriniens pendant la grossesse a été définie, quant à elle, à l’aide d’une matrice emploi-exposition, permettant d’attribuer des scores de probabilité d’exposition.» Ceci a permis aux épidémiologistes d’établir des probabilités d’exposition à une ou plusieurs catégories de produits pouvant contenir des perturbateurs endocriniens en fonction des métiers des mères, tout en dissociant l’impact d’autres facteurs de risque, comme le tabac, l’indice de masse corporel ou le délai d’abstinence.

Les perturbateurs endocriniens associés à une moins bonne  qualité spermatique

Les résultats de cette étude montrent que les jeunes hommes exposés in utero à des perturbateurs endocriniens ont deux fois plus de risque d’être en dessous des seuils standards de qualité établis par l’OMS, tant au niveau du volume de sperme par éjaculation (seuil à 2 ml) qu’au nombre total de spermatozoïdes par éjaculation (40 millions). «Dans notre étude, les produits les plus associés avec ces anomalies étaient les pesticides, phtalates et métaux lourds», relève Ronan Garlantézec.

«Ces observations ne préjugent pas de la fertilité future des jeunes hommes, et seul un suivi au cours du temps permettra d’en évaluer les conséquences. Néanmoins, les résultats pourraient expliquer, au moins en partie, la moindre qualité du sperme des jeunes suisses», continue Serge Nef. Une étude complémentaire est d’ores et déjà prévue dans cette même population pour étudier le lien entre l’exposition professionnelle maternelle aux perturbateurs endocriniens et les modifications d’hormones sexuelles à l’âge adulte.

Prévenir l’exposition aux perturbateurs endocriniens

Les résultats de cette étude suggèrent une association entre l’exposition professionnelle de la mère aux perturbateurs endocriniens et une diminution de plusieurs paramètres du sperme chez leurs enfants à l’âge adulte. «Il apparait donc nécessaire d’informer les femmes en recherche de conception et en tout début de grossesse des dangers potentiels d’une exposition à ces substances pendant la grossesse, qui pourrait altérer la fertilité de leurs enfants», souligne Luc Multigner. «De même, il serait intéressant de  réaliser une étude similaire chez les femmes, afin de vérifier si l’impact des perturbateurs endocriniens est le même sur le système reproducteur féminin, bien que cela soit beaucoup plus complexe à réaliser», explique Ronan Garlantézec. Enfin, les données concernent des mères il y a 25 ans. Depuis, les métiers exercés par les femmes ont grandement évolué, tout comme la présence des perturbateurs endocriniens dans les produits employés. «D’où le rôle de prévention capital de cette étude», conclut Serge Nef.

Contact

Ronan Garlantézec
Professeur à l’IRSET, CHU Rennes et Université de Rennes 1

+33 2 99 28 93 00
Ronan.GARLANTEZEC@chu-rennes.fr

Serge Nef
Professeur au Département de médecine génétique et développement
Faculté de médecine, UNIGE

+41 22 379 51 93
Serge.Nef@unige.ch

Source; Université de Genève
Cette recherche est publiée dans
Human Reproduction
DOI: 10.1093/humrep/deab034