Le Centième Singe

La « théorie centième singe » les observations effectuées sur des macaques Japonnais, les Macca fuscata, ces singes au long poil argenté et au visage rose qui figurent sur de nombreuses photos, prises entre 1952 et 1965, où ils apparaissent immergés dans l’eau d’un lac au milieu de vapeur rasante, sur l’îlot de Koshima ou sur l’île de Kyushu.

Le groupe de scientifiques japonais nourrissait autrefois les singes avec des patates douces qu’ils lançaient dans le sable. Les singes adoraient cette denrée mais ils trouvaient désagréable de manger le sable qui recouvrait la peau. Une femelle, qu’ils avaient baptisée “Imo” trouva la solution à ce problème: elle trempa sa patate dans l’eau pour la débarrasser du sable et, satisfaite du résultat, se mit à laver systématiquement toutes ses patates avant de les consommer.

Au début, elle était la seule à pratiquer ce rituel, mais les scientifiques notèrent que les premiers à suivre son exemple furent les jeunes. Ensuite ce fut au tour des autres femelles.

Les plus réticents furent les vieux males, qui observaient ce nouveau comportement en faisant des grimaces réprobatrices.

Les années passant, on comptait de plus en plus de singes qui nettoyaient les patates douces avant de les consommer.

Or les scientifiques japonais remarquèrent que le jour où le centième singe se mit à laver sa patate, un seuil critique fut atteint, et tous les singes de l’île se mirent à considérer que le comportement normal était de laver sa patate avant de la déguster.

Encore plus étonnant, une fois dépasser ce nombre précis de 100, par une sorte de contagion, les colonies de macaques des iles avoisinantes adoptèrent le même comportement. Il était pourtant rigoureusement impossible que de singes aient pu traverser à la nage la distance qui séparait ces iles.

Un chercheur américain, Lyall Watson, émit alors l’hypothèse que lorsqu’un nombre suffisant d’individus change de façon de considérer une idée nouvelle, cette dernière se répand très vite, comme une onde dans l’air, au point de toucher tous les individus sans la moindre transmission tangible.

En 1984, Ken Keyes publia un livre intitulé le centième singe, dans lequel il rapprochait le comportement des macaques japonais et les sociétés humaines. Il fit l’hypothèse que, lorsque l’addition de l’énergie mentale des individus atteint un certain seuil, une sorte d’explosion se produit qui provoque un changement de conscience généralisé.

Au début cela ne touche qu’un nombre restreint d’initiés et de curieux –  les jeunes par exemple, souvent plus souples et plus intéressés par les comportements nouveaux -, puis par un effet de bascule, cette originalité devient la norme. Et les générations suivantes finissent par oublier les comportements maladroits de leurs ancêtres.

– Bernard Werber

– L’encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu